Conseils notaires
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Société civile et usufruit temporaire : couple gagnant ou infernal ?
Lorsqu’un chef d’entreprise ou dirigeant de société envisage d’acquérir des murs pour son exploitation, le recours au démembrement est souvent utilisé. La technique de l’usufruit temporaire permet de concilier séparation des patrimoines par l’interposition d’une société civile et optimisation fiscale.Alexandra Arnaud Emery CONSULTANTE DROIT DES AFFAIRES NCE
Des schémas différents ont été mis en place soulignant les vertus de cette technique jusque l’administration fiscale obtienne du législateur le vote d’un dispositif fiscal destiné à endiguer le recours à l’usufruit temporaire. Résistant toujours, cette technique reste efficace dans certains cas.
Les contextes
- Les murs d’exploitation sont la propriété d’une société civile dont les associés sont en tout ou partie identiques à ceux de la société d’exploitation louant les murs.
- La société d’exploitation souhaite devenir propriétaire de son local, elle se porte acquéreur de celui-ci en démembrement avec une société civile.
Les différents schémas
Le démembrement peut porter sur l’immeuble ou sur les parts sociales. C’est ainsi qu’une société civile passible de l’IR propriétaire d’un immeuble peut décider de vendre l’usufruit temporaire portant sur ce bien à une société d’exploitation passible de l’IS. Le démembrement peut même être constitué ab initio, lorsque se portant acquéreur d’un immeuble, la société civile acquiert la nue-propriété de l’immeuble et la société d’exploitation l’usufruit temporaire de celui-ci. Lorsqu’il porte sur les parts sociales, ce sont les associés de la société civile propriétaire de l’immeuble (et qui le reste) qui cèdent l’usufruit de leurs parts sociales à la société d’exploitation, et ce de manière temporaire.
Il convient de rappeler que même en l’absence de stipulation d’une durée précise l’usufruit dès lors qu’il est consentie sur la tête d’une personne morale est par définition temporaire, l’article 619 du Code civil disposant « L’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans ».
Les avantages
Pour la société d’exploitation, en cours de démembrement, en sa qualité d’usufruitière, elle peut pratiquer des amortissements et déduire les intérêts de l’emprunt afférent à l’acquisition du droit d’usufruit. A l’expiration du démembrement, la valeur nette comptable du droit d’usufruit est égale à zéro. La disparition de cet élément d’actif est constatée dans la comptabilité de la société. Le compte d’immobilisation incorporelle est soldé de même que le compte d’amortissement correspondant. Aucune plus-value taxable n’apparaît.
Pour la société civile, nue-propriétaire, dès lors qu’elle ne perçoit aucun revenu, elle n’est pas imposée et n’acquitte même pas la taxe foncière. Les parts sociales ont une faible valorisation ce qui permet aux associés de limiter leur imposition au titre de l’IFI voire de procéder à des transmissions à titre gratuit tout en limitant l’assiette des droits de mutation à titre gratuit. A l’expiration de l’usufruit temporaire, la société civile devient propriétaire de l’immeuble par réunion de l’usufruit à la nue-propriété et ce, sans frais et alors même que l’emprunt afférent à l’usufruit de l’immeuble est totalement remboursé. Au regard des droits d’enregistrement, en application des dispositions de l’article 1133 du CGI, la reconstitution de la pleine propriété de l’immeuble à l’extinction de l’usufruit ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe. Au regard des impôts directs, l’extinction de l’usufruit temporaire n’est susceptible d’aucune taxation, notamment dans le cadre des revenus fonciers. Enfin, si la société civile venait à revendre l’immeuble ainsi acquis – pour la nue-propriété, à titre onéreux ; pour l’usufruit, par extinction naturelle – la plus-value immobilière réalisée serait exonérée pour délai de détention de plus de 30 ans (art. 150 VG C.G.I.). La doctrine administrative précise qu’en cas de vente d’un bien après réunion de propriété, la date de la 1ière des acquisitions qu’elles soient à titre onéreux, à titre gratuit ou par voie d’extinction naturelle constitue le point de départ du délai de détention.
Il en résulte donc que ce montage permet de cumuler les avantages inhérents à la fiscalité professionnelle (possibilité d’amortir tant que dure le démembrement et la détention de l’usufruit par une société ayant une activité professionnelle) et à la fiscalité des particuliers (possibilité de revendre à la sortie en exonération de plus-value immobilière à raison de la durée de détention).
Lorsque le démembrement porte sur les parts sociales que la société d’exploitation acquiert l’usufruit temporaire des parts sociales, par le mécanisme de l’article 238 bis K du CGI, la société d’exploitation peut en outre profiter de l’amortissement sur l’immeuble resté appartenir à la société civile en pleine propriété. Il continue d’ailleurs à être loué à la société d’exploitation.
La réforme de 2012 et l’article 13,5° du CGI
Devant son échec à obtenir sur le fondement de l’abus de droit, de l’acte anormal de gestion ou encore de l’abus de biens sociaux, la remise en cause de ce type de montage, l’administration fiscale a obtenu du législateur une réforme tendant à fiscaliser davantage la mise en place de ces montages ; l’objectif étant d’en endiguer le nombre.
Depuis le 14 novembre 2012, le produit résultant de la première cession d’un même usufruit temporaire par une personne physique (ou une société ou un groupement relevant des articles 8 à 8 ter du CGI) est imposable au nom du cédant dans la catégorie des revenus à laquelle se rattache le revenu procuré par le bien sur lequel porte l’usufruit (CGI art. 13,5). Autrement dit, lorsqu’une société civile cède l’usufruit temporaire portant sur son immeuble social, il perçoit un prix de vente imposable dans sa totalité à l’IR dans la catégorie des revenus fonciers. Il en est de même pour les associés personnes physiques lorsqu’ils cèdent l’usufruit portant sur leurs parts sociales.
Il convient de relever que le démembrement ab initio entre dans le champ d’application de l’article 13,5° du CGI sauf à ce que la vente soit le fait d’une structure passible de l’IS. Ainsi, lorsque le propriétaire d’un immeuble (par principe relevant de l’IR) cède concomitamment l’usufruit de son bien à une société d’exploitation et la nue-propriété à une société civile, même si dans cette situation l’usufruit n’a pas vocation à faire retour au cédant, la cession, qui porte sur un usufruit temporaire, entre dans le champ d’application des dispositions du 5 de l’article 13 du CGI (RM Lambert n° 15540, JO AN du 2 juillet 2013, p. 6919, intégrée à la base Bofip ; CAA Marseille 18 février 2021, n° 19MA03657).
Soyons vigilant chaque fois qu’une opération implique un usufruit temporaire !