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LA VENTE D’UN IMMEUBLE PAR UNE SOCIÉTÉ CIVILE ET LECTURE DES STATUTS

Par Alexandra Arnaud Emery, diplômée notaire et consultante/formatrice en droit des affaires.

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Lorsqu’intervient la vente d’un immeuble par une société civile, il appartient au praticien de s’interroger sur la nécessité d’obtenir une décision collective des associés. De nombreuses situations peuvent se présenter, la première démarche étant de vérifier ce que prévoient les statuts et plus particulièrement les clauses « Objet social » et « Pouvoirs du gérant ». 

En application de l’article 1849 du Code civil, le gérant ne saurait engager, à l’égard des tiers, la société civile dans le cadre d’un acte excédant les contours de l’objet social. Le gérant d’une société civile ne peut librement vendre un immeuble que si l’objet social mentionne le mot « vente » ou l’un de ses synonymes. La simple mention dans l’objet social du terme « propriété » est aujourd’hui insuffisant pour autoriser le gérant à agir seul (Cass. civ 3ième, 5 novembre 2020, n° 19-21.214 F-D). 

Il faut que le contenu de l’objet social soit explicite ; en cas de doute, il convient d’obtenir une décision collective des associés dans les mêmes conditions de majorité que celles qui auraient été requises pour opérer une modification des statuts (Cass. Civ, 3e, 4 février 1971, Revue Droit des sociétés 1971, p. 595, note Guilberteau). Lorsque les statuts n’ont pas défini de condition de majorité particulière, le principe repose sur l’obtention de l’accord unanime des associés, conformément aux dispositions de l’article 1852 du Code civil.

A défaut de décision collective pour autoriser la vente, la sanction de nullité est encourue en application de l’article 1844-10, al. 3 du Code civil modifié par la loi 2019-486 du 22 mai 2019, selon lequel « la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général ». Par « acte », il faut considérer toute manifestation de volonté émanant de la société destinée à produire des effets de droit : par exemple, les actes des représentants légaux de la société.

Si la vente est expressément visée dans l’objet social, le gérant peut valablement agir seul par rapport aux tiers ainsi qu’il résulte des dispositions de l’article 1849 du Code civil. 

La tâche du praticien ne s’arrête pas là dans la mesure où il convient de vérifier si les pouvoirs du gérant ne sont pas restreints à l’égard des associés.  

En vertu de l’article 1848, alinéa 3, du Code civil, les associés disposent de la plus grande liberté pour organiser comme ils l’entendent le fonctionnement interne de la société. Si les statuts ne contiennent pas de clause déterminant les pouvoirs du gérant ou s’ils se contentent de reprendre les dispositions du Code civil, celui-ci peut accomplir tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société (C. civ., art. 1848, al. 1er) et qui entrent dans l’objet social.

Le gérant peut accomplir les actes de gestion respectant l’intérêt social. 

S’agissant de la notion d’acte de gestion, on s’accorde à considérer que l’acte de gestion est plus large que l’acte d’administration et qu’il peut comprendre des actes de disposition dans la mesure où ceux-ci concernent l’exploitation de la société. Toutefois, les actes de disposition portant sur l’ensemble des immeubles sociaux excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants de société civile.

S’agissant de l’intérêt social, depuis la loi 2019-486 du 22 mai 2019, l’intérêt social s’entend de façon « élargie », c’est-à-dire en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de la société (C. civ. art. 1833 modifié par loi 2019-486). L’acte est conforme à cet intérêt s’il est utile ou profitable à la société, compte tenu, le cas échéant, des enjeux sociaux et environnementaux liés à son activité

Dans les rapports avec les associés, le critère retenu est celui de l’intérêt de la société alors que dans les rapports avec les tiers, c’est l’objet social qui conditionne la validité des actes passés par les gérants (C. civ., art. 1849, al. 1er).

Si le gérant n’est pas autorisé à vendre l’immeuble sans une décision des associés, il convient d’obtenir une décision collective associés soit par tenue d’une assemblée générale conformément aux dispositions de l’article 1852 du Code civil, soit par consultation écrite si les statuts le prévoient en application de l’article 1853 du Code civil soit par décision unanime des associés prises dans un acte conformément aux dispositions de l’article 1854 du Code civil.

Concernant les risques encourus en cas de non-respect des statuts, il convient de relever qu’à l’égard des tiers, le gérant « engage la société par les actes entrant dans l’objet social » (C. civ. art. 1849, al. 1). Les clauses statutaires limitant les pouvoirs du gérant sont inopposables aux tiers (C. civ. art. 1849, al. 3), sans qu’il importe qu’ils en aient eu connaissance ou non (Cass. 3e civ. 24 janvier 2001 n° 88 :  RJDA 7/01 n° 774 ; Cass. 3e civ. 12 juillet 2005 n° 887 :  RJDA 12/05 n° 1364).

Le gérant peut engager la société même par un acte effectué au mépris d’une clause des statuts limitant ses pouvoirs et alors même que le tiers cocontractant a eu connaissance de cette limitation. La sécurité des tiers est donc assurée au détriment des intérêts des associés. En d’autres termes, la vente est valable. 

Toutefois, le gérant violant une clause statutaire engage sa responsabilité et peut être révoqué sur ce motif. Le notaire prêtant son concours à un acte ne respectant pas les statuts peut, le cas échéant, voir sa responsabilité engagée.